Cabinda – Pourquoi la jurisprudence des annexions de force du Cabinda par l’Angola et du Timor Oriental par l’Indonésie en 1975 ne s’applique t-elle pas dans le cadre de l’autodétermination acquise par la République Démocratique de Timor Oriental le 20 Mai 2002 ? Pourquoi le peuple cabindais à l’instar du peuple timorais n’a t-il pas droit à une Nation qui se caractérise par la conscience de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre ensemble ? La similitude historique entre ces deux peuples martyrs est une évidence.

En effet, le Cabinda et le Timor Oriental furent administrés par le Portugal durant quatre siècles. A partir de 1975, ces deux territoires furent annexés respectivement par l’Angola et l’Indonésie. Ils subirent l’un et l’autre des exactions et des répressions massives qui ont suivi leur annexion entraînant de nombreuses victimes, sans réellement mobiliser la communauté internationale. Ces deux territoires sont restés dans un oubli complice, marqués par des violations flagrantes des Droits de l’homme. Certains faits marquants montrent la parfaite similitude de la tragédie et du martyr de ces deux peuples. En 1974, le nouveau gouvernement Portugais issu d’un coup d’État militaire, accepte le principe de l’indépendance de ses colonies d’Asie et d’Afrique.

Concernant le Timor Oriental, en août 1975, l’administration portugaise se retire de Dili, sa capitale. En décembre 1975, l’Indonésie envahit le territoire qui devient en juillet 1976, la 27ème province de la République Indonésienne. L’annexion n’est pas reconnue par l’ONU. Depuis cette annexion, plusieurs manifestations des indépendantistes sont violemment réprimées par l’armée. L’attribution du Prix Nobel de la Paix en 1996, à deux figures de la résistance timoraise consacre l’arrêt de l’indifférence de la communauté internationale, jusqu’au brusque réveil de son processus d’autodétermination en 1999. En effet, en mai 1999, un accord est signé entre les gouvernements Indonésien et Portugais sur l’organisation d’un référendum sous l’égide de l’ONU. Il doit porter sur l’autonomie au sein de la République Indonésienne ou sur l’indépendance du Timor oriental. Il aboutit à une nette volonté d’indépendance dans le cadre d’un référendum organisé par les Nations Unies, où le  » oui  » l’a emporté à près de 80%. En plus de vingt ans, la politique d’assimilation forcée de la population, la répression de l’insurrection armée et les famines ont fait quelque 200 000 morts, soit le quart de la population du territoire, selon les estimations de sources humanitaire et religieuse.

Concernant le Cabinda, en 1964 l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) classe le Cabinda comme le 39ème État à décoloniser (et l’Angola comme le 35ème), en 1975 les ambassadeurs de l’ex-Zaïre et du Congo Brazzaville en Éthiopie, font à la tribune de l’OUA un plaidoyer en faveur de l’autodétermination du Cabinda en réaction à la conférence d’Alvor au Portugal en janvier 1975, qui réunit les trois mouvements de libération angolais (UNITA, MPLA, FNLA), à l’exception du FLEC, et qui légitime le rattachement du Cabinda à l’Angola. Ainsi, en novembre 1975, occupé militairement par l’Angola avec l’aide des armées soviéto-cubaines, le Cabinda est considéré comme la 18ème province d’Angola. Il s’en suivra le lot quotidien de massacres, de violation des droits de l’homme, de privation de liberté. En septembre 1992, les élections présidentielles et législatives organisées par l’occupant sont boycottées par une abstention massive. Ce fût le refus officiel de l’assimilation (seuls votants : les troupes d’occupation et les fonctionnaires angolais, environ 50 000 hommes). Une violente répression militaire punitive provoque des milliers de morts et de viols, cela sans réactions et sans condamnations de la communauté internationale.

Le chaos qui règne au Cabinda et les très graves crimes que subit actuellement le peuple cabindais rappellent à quel point la communauté internationale continue de faire une interprétation à géométrie variable, de l’obligation qui est la sienne. Elle s’est consacrée récemment au Timor Oriental en portant secours à une population en danger de mort. L’horreur dans laquelle le Cabinda est aujourd’hui plongé, ressemble fort à la chronique de très graves violations des droits de l’Homme et d’une catastrophe humanitaire annoncée.

Ces dernières années, l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW), basée à New York, appelle régulièrement le gouvernement angolais à mettre fin aux abus commis par l’armée qu’elle accuse de violer, de torturer et d’exécuter des civils au Cabinda. Plusieurs communiqués ont été publiés en 2002, 2003 et 2004 pour dénoncer les exactions et les violations inhumaines des droits de l’Homme (viols, castrations, tortures, arrestations arbitraires sont le lot quotidien des civils qu’on accuse d’aider les séparatistes).

Nonobstant, le peuple cabindais tente à nouveau de se réorganiser face à la quasi-indifférence complice de la communauté internationale. Le FLEC/FAC et le FLEC Rénové, deux organisations politico-militaires cabindaises ont décidé d’unir leur force. Une réunion scellant l’alliance s’est tenue fin août aux Pays-Bas en présence de représentants de l’église du Cabinda. Le nouveau nom du mouvement est désormais : FLEC (Front de Libération de l’Enclave du Cabinda), c’est le nom d’origine du mouvement indépendantiste en 1963.

Au-delà de cette fusion, « et afin de répondre à l’impératif de la recherche de la paix entre le peuple Cabindais et le gouvernement d’Angola », selon les termes du communiqué publié à l’issue de la rencontre, le FLEC et la Société Civile ont créé le Forum Cabindais pour le Dialogue. Le Forum Cabindais pour le Dialogue se présente dorénavant comme l’unique interlocuteur « valable, représentatif et capable de mener le dialogue avec le gouvernement de l’Angola ». Il se déclare prêt à entamer des négociations avec le gouvernement angolais afin de chercher une solution pacifique au conflit. La puissante association civile Mpalabanda (arbre résistant au feu), qui prône l’autodétermination du Cabinda est à l’origine de cette heureuse initiative. Elle recommande aux belligérants de proclamer un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, d’ouvrir un dialogue et de se disposer à négocier.

Enfin, elle demande à la communauté internationale et à l’Union Africaine (UA) de cesser leur politique d’apathie et de participer à la recherche de la paix au Cabinda, en appelant aussi l’ONU à nommer un rapporteur spécial sur les droits de l’Homme, dont les violations sont régulièrement dénoncées sur ce territoire. Les Cabindais doivent néanmoins montrer à la communauté internationale leur volonté de vivre ensemble dans l’unité et dans la cohésion nationale avec en partage leur histoire, leur culture et leur identité afin de rassurer tous les intervenants économiques et financiers présents au Cabinda.

Toutefois, nous sommes en présence de deux poids deux mesures, le Timor Oriental est aujourd’hui indépendant et le Cabinda est toujours sous l’occupation militaire angolaise. L’ONU a pris ses responsabilités au Timor Oriental en mettant ce territoire sous son administration et en organisant le referendum qui a abouti à son autodétermination. Pourquoi ce degré de myopie et de cynisme exceptionnel de la communauté internationale vis à vis du peuple cabindais ? Cela serait-il assimilé à un délit d’identité ?

Dr André Patrick TCHISSAMBOU

Article paru dans Jeune Afrique Économie, le 07 février 2007

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