Par André Patrick TCHISSAMBOU, Docteur ès Sciences économiques de l’Université de Franche-Comté (France).
En octobre 1997, le Cabinda a été sous les feux de l’actualité lorsque l’Angola a transgressé deux principes fondamentaux de la charte des Nations : la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays et surtout le non respect de son intégrité territoriale. La raison invoquée était de neutraliser les troupes de l’UNITA au Congo-Brazzaville. Les Angolais utilisent souvent ce nom comme un paravent servant à masquer ou à dissimuler les différentes composantes du Front de libération de l’enclave du Cabinda (FLEC), créé en 1963, à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville).
Désormais, le Cabinda sert de base militaire aux Angolais pour protéger les intérêts pétroliers américains et français. Cela a été démontré lors du dénouement de la crise congolaise à Pointe-Noire. Deux objectifs ont été atteints : protéger l’exploitation pétrolière d’Elf ; contrôler et étouffer tous les mouvements indépendantistes cabindais sis au Congo. Dorénavant, tout le bassin du Congo est sous l’influence et sous le contrôle de l’Angola, depuis l’aide militaire apportée à Laurent-Désiré Kabila au Congo-Kinshasa et la présence des troupes militaires angolaises au Congo-Brazzaville.
Les troupes angolaises sont néanmoins présentes au Cabinda depuis novembre 1975, avec toutes les exactions que peut entraîner une occupation militaire et coloniale. Et pourtant, le Congo portugais (Cabinda) fut placé sous le protectorat portugais par les princes du Cabinda, aux termes du traité qui fut signé le 1er février 1885, après la Conférence de Berlin (qui eut lieu la même année). C’est seulement à partir de 1956, pour des raisons de commodité administrative, que les Portugais décidèrent de nommer un seul administrateur à la tête de l’Angola et du Cabinda.
Les deux territoires, quoique considérés comme distincts, étaient gérés par une seule et même autorité. Cette même disposition fut appliquée en Afrique équatoriale française, où la France n’eut qu’un seul administrateur pour l’ensemble de ses colonies d’Afrique centrale.
A l’indépendance, le Congo-Brazzaville n’a pas occupé et annexé militairement les autres colonies. Mais c’est ce que fit Luanda au Cabinda avec l’appui des communistes portugais. Au firmament de la guerre froide, le Cabinda a été l’un des rares points de convergence entre les communistes soviétiques et les capitalistes américains. Malgré l’embargo systématique des États-Unis sur Cuba, les troupes cubaines débarquèrent au Cabinda pour protéger l’exploitation pétrolière de Gulf et pour renforcer militairement les troupes angolaises. Pourquoi ? Le Cabinda est trop riche, lui qui représente, selon Pierre Péan, » un tiroir-caisse, une anomalie géologique « .
Le Cabinda est vidé de son pétrole sans contrepartie pour les autochtones : les recettes pétrolières sont transférées en Angola et assurent 80 % du budget de ce pays. Tandis que le pétrole est vendu à vil prix, un véritable pillage et une exclusion parfaite se déroulent, dont les Cabindais sont les victimes.
Lors de l’invasion du Congo-Brazzaville par les troupes militaires angolaises, le Cabinda a cru qu’il allait revivre les arrestations massives et abusives de ses militants nationalistes et de ses leaders politiques, comme cela s’était produit en 1976. Cela n’a pas été le cas. Mais, la population locale est sous haute surveillance.
Les Cabindais sont désormais un peuple sans territoire fixe. Comment doivent-ils réagir ? D’abord, les luttes intestines entre les nombreux mouvements qui discréditent le fondement même de leur combat doivent cesser. Le trait dominant, c’est bien l’apparent empêchement de se comprendre entre tous les intervenants cabindais : la succession d’échecs sur plus de trente-cinq ans est impressionnante. Ensuite, on ne peut que relever l’absence d’un leader charismatique.
L’Histoire montre que chaque combat indépendantiste s’est personnalisé dans un être d’exception, porté par tous vers l’objectif de chacun. Citons des pacifistes tels que Gandhi, Nelson Mandela ou Martin Luther King. Dans un autre style, pensons à Ben Gourion et à Golda Meir pour Israël, et aujourd’hui à Yasser Arafat pour la Palestine. Un regard en arrière conforterait plutôt les Angolais à ne rien faire. Il reste donc aux Cabindais à trouver un point d’appui essentiel qui punisse faire bouger les Angolais : recourir à un médiateur international (à défaut d’un leader incontestable) mais avec une plate-forme politique cohérente et unique.
L’Histoire et le droit plaident et justifient l’indépendance pour le Cabinda. La preuve : l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) avait admis en 1974 le Cabinda comme le 39ème pays africain à décoloniser. C’est la base de tout dialogue.
Commentaire de l’auteur : En 2020, hélas on constate l’actualité permanente du contexte, des enjeux et des effets décrits judicieusement dans cet article paru en 1998.