Rituels funéraires 1979, témoignage de Catherina Gieskes

Comme moi, mon mari était Cabindais (famille Yeze di N’Puna). Lorsque, je l’ai perdu, j’avais 28 ans. Nous habitions à Bruxelles et je suis arrivée avec son corps à Kinshasa, c’était la décision de ses parents.

Ma mère qui était à Kinshasa, m’avait téléphoné et fait des recommandations :

  • J’avais de longs cheveux, elle me dira de les faire couper à ras car la belle famille pouvait le faire dans de mauvaises conditions ;

  • Quand je descendrai de l’avion et pendant tout le temps que je serai en contact avec des personnes, je devais regarder que le sol, et ne pouvais en aucun cas faire couler une seule larme, et je ne pouvais pas dire un mot.

Je portais une longue robe noire coiffée d’une mantille noire en dentelle.

Rentrée dans la voiture accompagnée de plusieurs femmes dont ma mère, le cortège de voitures partit vers la parcelle de l’oncle de mon mari où allait être exposé son corps à l’intérieur de la maison. Ce jour-là, j’ai dû rester debout en supportant toutes les injures, critiques que l’on me lançait sans pouvoir réagir. Un autre jour, on exposa son corps dans la parcelle. J’étais assise inerte devant le cercueil jusqu’au troisième jour où l’on conduisit le corps dans la parcelle de mon père.

A mon arrivée dans la parcelle, ma grand-mère je suppose et d’autres femmes, me prirent directement, me changea d’accoutrement en un seul pagne et une blouse, et me firent asseoir à l’intérieur dans une pièce sur un kuala (natte faite à la main) en me recommandant de ne jamais répondre à quelqu’un qui me parlerait, et en aucun cas parler, pas pleurer, et je ne pouvais regarder que le mur.

Le matin du jour de départ pour le cimetière, de grands bruits se faisaient entendre dans la parcelle qui était inondée de personnes.

Un moment donné, on me releva du sol, me demandant de bien fermer mon pagne. J’accompagnais les mamans dehors qui me remirent une grande dame-jeanne tressée et remplie d’eau que je devais déposer sur ma tête nue. Je devais tenir de la main gauche, le véhicule dans lequel le cercueil avait été placé, et de la main droite, la dame-jeanne.

Les consignes étaient :

Tu tiendras de ta main et ne pourras pas lâcher la voiture jusqu’au croisement d’un chemin. Arrivé au croisement la voiture s’arrêtera pour prendre le chemin qui les conduira vers le cimetière, toi, dès que la voiture tournera d’un côté, tu lâcheras ta main, et à ce moment-là, tu jetteras la dame-jeanne par terre de toute tes forces afin qu’elle se casse et tu prendras le coté opposé du chemin qu’aura pris la voiture, « Si la dame-jeanne ne se cassait pas cela voulait dire que la veuve avait tué son mari ». Tu devras courir jusqu’à la maison sans te retourner, « si vous vous retourniez, cela voulait dire que bientôt vous alliez aussi mourir », tout en te laissant fouetter par une personne de la famille de ton mari, « la personne avait été choisie ».

Quand j’eu lâché la dame-jeanne qui se brisât, je me mis à courir tellement vite en pleurant et criant que mes amies qui étaient derrière moi « toutes les personnes couraient également » criaient de part et d’autre « c’est cassée, ne te retournes pas, ne coures pas si vite, ils ne savent pas te flageller ! » Je ralentis ma course, et finalement arrivée dans la parcelle, un groupe de femmes m’attendaient et s’occupèrent de moi.

Un peu avant minuit, on m’amena derrière la parcelle. En principe dans les villages, on amène la veuve à la première rivière pour que la belle-famille la lave en faisant des Incantations, afin de la libérer de leurs liens.

Ici une grande bassine remplie d’eau représentait la rivière, et un membre de ma belle-famille était là accompagnée des membres de ma famille. On me déshabilla et la personne de la belle-famille commença à me laver en répétant des incantations.

Quand cela fut fait, ma famille me prit et me dit à l’intérieur que j’étais libre. On me donna des vêtements et je dus rester trois jours avant d’aller voir la tombe de mon défunt mari.

C’était dur !

Catherina Gieskes, Veuve Yeze Nene en 1979

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